Pour Katarina Frostenson, poétesse, dramaturge, essayiste et académicienne suédoise, la lettre K est à la fois maudite et porteuse d’espoir. Elle inspire le chaos, les crises, les catastrophes, les cabales tout autant que l’amour, les sentiments, l’art, la culture. Tous ces mots commençant par un K en suédois, tout comme son prénom !
K, son dernier ouvrage, a été conçu en urgence et couvre une période relativement courte mais ô combien mouvementée de l’existence de l’auteure – fin 2017, mi 2018.
Novembre 2017. 18 femmes témoignent dans un article publié dans le quotidien suédois Dagens Nyheter avoir été violées et ou agressées sexuellement par un homme, un Français qui s’avérera être le mari de l’académicienne Katarina Frostenson qui occupe le fauteuil numéro 18 de l’Académie suédoise depuis 1992. #metoo frappe et son onde de choc va, entre autre, saper les fondements mêmes de la noble institution, et bien au-delà… Si le prix Nobel de littérature 2017 est bien attribué par l’Académie suédoise au Britannique d’origine japonaise, Kazuo Ishiguro, et remis comme chaque année le 10 décembre, l’institution n’aura pas le loisir de décerner le prix pour 2018. Cette année 2018 est un cauchemar pour l’Académie et ses membres. Katarina sera tenue de démissionner, tout comme la Secrétaire perpétuelle et un certain nombre d’Immortels. Par surcroît, le prix Nobel de littérature est reporté à l’année suivante ! Il va s’en dire que l’Académie, à l’annonce du scandale des plaignantes, prend immédiatement ses distances avec Jean-Claude Arnault. Ne lui versait-elle pas de substantiels subsides pour son Forum, un cercle culturel, un lieu de contre-culture où intellos et initiés aimaient à se retrouver pour des performances, expositions, et autres soirées poésies. Le fait que Katarina ait « oublié » qu’elle possédait la moitié des parts de l’activité de son mari n’a fait que précipiter les choses… Favoritisme ? On ne joue pas de ce registre là en Suède… Ce sont toutes ces péripéties dramatiques que Katarina Frostenson reprend chronologiquement par le menu dans son brûlot dirigé pour l’essentiel contre l’Académie.
Katarina ne comprend pas. Comment sa vie a-t-elle pu basculer de la sorte ? Qu’est-ce qui a déclenché cette ire des media, des Suédois, des membres de l’Académie contre sa personne ? Qu’est-ce qui a précipité cette haine qu’elle a ressentie si profondément. Elle, Suédoise, sans histoires, qui vivait une vie de poétesse, privilégiée certes, mais sans plus ! En 272 pages elle analyse donc froidement ces épisodes poignants qui, du jour au lendemain, l’ont amenée à « fuir » son pays pour rejoindre Jean-Claude en France. Elle règle ses comptes et n’y va pas de main morte.
Elle reproche, entre autres, à ses concitoyens, leur envie maladive congénitale, leur propension à se satisfaire du mal d’autrui, leur petitesse provinciale, leur austérité toute luthérienne. Elle aime sa Suède, pas les Suédois. Elle tire bien évidemment à boulets rouges sur l’Académie et ses anciens « coreligionnaires ». Peu trouvent grâce à ses yeux. Il faut dire que certains se sont littéralement acharnés sur elle. Que lui demandait-on en gros ? De prendre immédiatement et résolument de la distance vis-à-vis de son mari, voire de condamner ses actes. Car c’est quand même par lui qu’est né le scandale. Elle ne peut s’y résoudre. Son mari est l’amour de sa vie. Comment ne pas le soutenir dans ces moments difficiles ?
En réalité, Katarina Frostenson évoque assez peu son homme, sinon pour répéter à l’envi qu’elle l’aime. Il ne doit pas y avoir plus de dix lignes sur Jean-Claude. Et même si elle admet quelques « errements » de sa part, c’est aussitôt pour rajouter qu’elle ne croit pas un instant à la violence dont les plaignantes l’accusent. Affabulations que tout cela ! Elle le connaît son Jean-Claude, c’est sa muse !
2018, la justice suédoise s’occupe du Français suite à une plainte déposée par huit des dix-huit femmes qui avaient témoigné dans le quotidien suédois. Une seule sera retenue, les autres, prescrites, seront déboutées. Jugé en septembre pour viol, le parquet requiert trois ans de prison pour Jean-Claude Arnault. Il sera placé en détention provisoire, la justice suédoise craignant qu’il s’exile. Il sera finalement condamné à deux ans de prison ferme en décembre. Il fait appel du jugement. Début 2019, sa condamnation est non seulement confirmée mais alourdie. Deux ans et demi de prison ferme. Son avocat demande un pourvoi en cassation. La Cour suprême rejettera son appel. Fin des recours, sentence à exécuter.
Pour mener à bien son entreprise de destruction de l’institution à laquelle elle a appartenue pendant 27 ans, Katarina Frostenson partira de la trame d’un conte de Hans Christian Andersen (Le compagnon de voyage) et aura recours à une sorte de stratagème littéraire sophistiqué qui consiste à nourrir son aversion, sa hargne, sa déception et son désespoir en faisant appel à des extraits de ses poèmes, de morceaux choisis d’auteurs qu’elle a notamment traduits (Georges Bataille, Simone Weil, Jean-Marie Gustave Le Clézio, Paul Celan et bien d’autres). Une méthode très efficace pour faire passer un message qu’elle ne saurait mieux dire elle-même. Ainsi le lecteur se familiarisera avec la poésie de celle qui a, selon certains critiques, marqué sa génération. Bienvenue dans la révision du catalogue de la production frostensonienne !
Convaincant K ? Aux sempiternels pourquoi et comment, on retiendra surtout l’impression d’une sensiblerie posturale durable : victime d’une cabale, d’un complot, de l’envie, du rejet de l’intellectuel… d’un monde lié contre elle, contre eux… qui relève soit d’une grande naïveté ou d’une sincérité candide à laquelle il faudra qu’elle renonce pour de nouveau être en phase avec la cruelle réalité ! En électron libre dans une société qui a la dent dure pour ceux et celles qui les ont déçus.
K
Katarina Frostenson
Éditions Polaris